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[PLAYLIST] Groove libertaire avec Simo Cell & Abdullah Miniawy
Focus sur l'excellente collaboration franco-égyptienne avec l'album "Kill Me Or Negociate", sorti en automne dernier.

En ce début d'année 2021, flashback sur la fin d'année dernière au travers d'une rencontre franco-égyptienne qui a marqué le paysage prunien.

Rassurez-vous, il n'est pas question ici de mentionner la remise de la grand croix de la Légion d'honneur par Emmanuel Macron à Abdel Fattah al-Sissi en décembre dernier à l'Elysée, mais plutôt, aux antipodes de cette rencontre, de vous parler de Simo Cell et Abdullah Miniawy, qui ont sorti ensemble l'album Kill Me Or Negociate en octobre dernier, sur le label BFDM.

Si Simo Cell est bien connu des Nantais·es et de la scène électronique française, peut-être que Abdullah Miniawy l'est moins. Excepté pour ceux et celles qui ont passé leur été 2019 sur Nantes et ont pu assister au concert du trio "Le Cri du Caire" dans le cadre du festival Aux Heures d'été, ou pour les chanceux·ses qui le lendemain s'étaient déplacé·e·s au bar ASKIP, pour un dj set/barbecue de Abdullah Miniawy, proposé par le label nantais Ernest'D Tapes.

Artiste protéiforme et activiste

Chanteur soufi, poète, slameur, trompettiste, acteur de cinéma, activiste politique, c'est un peu tout ça Abdullah Miniawy. A tout juste 26 ans, il est né dans la ville oasis de Fayoum, à 100 km au sud-ouest du Caire. Elevé coupé du monde en Arabie Saoudite, il trouve refuge dans l’écriture et la spiritualité soufie. La musique, interdite à la maison, apparaît dans l'équation en 2011 lors de son retour en Égypte, à l'aube des Printemps Arabes, que Abdullah Miniawy a vécu dans son épicentre au Caire.

Dans ce contexte électrisant et incertain , d'avancées et de reculs, il s'est rapidement fait remarquer comme l'une des voix de cette jeunesse qui se rassemble pour le changement et la liberté. Les manifestations deviennent un espace de liberté artistique, un lieu de rencontre et de production pour les artistes révolutionnaires.

Ce souffle de liberté, même s'il a été très bref, est un événement majeur dans l'histoire de l’Égypte, et a eu un impact irréversible, comme le défend l'historien Khaled Fahmy. Ce rêve de Printemps a existé et ses effets sont là : Abdullah Miniawy en est l'une de ses expressions.

Cet artiste multi-facettes réalise un travail particulièrement intéressant dans le domaine de la musique, et ce, au-delà de son travail solo autour des expériences électro-acoustiques et des bandes sons pour cinéma. Sa liste de collaborations commence a se remplir et chacune d'entre elles lui permet d'explorer différents genres.

Avec le projet Le Cri du Caire, on explore le slam et le jazz , avec sa collaboration aux côtés de Carl Gari, c'est le coté kraut/techno minimale qui est à l'honneur. Son duo avec Hyperpotamus nous immerge dans le hip-hop et le beat boxing, et enfin cette rencontre avec Simo Cell lui permet aussi d'explorer les ambiances noires du dub et de la bass music. Mais pas que.

Au-delà de son chant et de ses paroles, Abdullah Miniawy amène sa trompette à la musique de Simo Cell. On l'entend en fond dans le morceau d'ouverture "Sama (Learning How to Fly)", et surtout dans "Caged in Aly's Body", track qui s'approche de l'imaginaire de l'artiste portugais Jonathan Uliel Saldanha, et son laboratoire rythmique HHY & The Macumbas.

Mais je dois avouer qu'instinctivement, en tombant sur cette collaboration entre Simo Cell & Abdullah Miniawy, la première image qui m'est passée par la tête était celle du duo formé par le patron de Hyperdub records et le poète Stephen Samuel Gordon, plus connus sous leurs noms Kode9 & The Spaceape, et qui ont révolutionné la scène dubstep britannique. Poésie et révolution.

Une traversée poétique

Pour cet album, Kill Me Or Negociate, Abdullah Miniawy a essayé un type d'écriture différent et moins littéral, car le tempo et la tension présente dans la musique de Simo Cell ne se prêtaient pas à son art habituel : "C'est plus difficile de porter un message sur un son groovy", déclare-t-il d'ailleurs dans un article de Trax. "La rythmique n’est pas propice à l’écriture, il faut supprimer des mots, des phrases entières… Ça minimise le message, ça le reconfigure."

Et en effet, sur Kill Me Or Negociate, l’Egyptien, habitué à écrire sur des sujets politiques, sociaux et philosophiques, a essayé cette fois-ci, d’être totalement libre et de rechercher plutôt à l’intérieur de lui-même, les mots qu'il trouve habituellement à l'extérieur, dans la réalité qui l'entoure. L'album narre l'histoire d’un protagoniste dans un paysage désertique. Il doit choisir entre deux désirs : assouvir sa faim ou atteindre son objectif. L'artiste développe une série de métaphores dans le texte, et l’auditeur·ice peut y voir ce qu’iel veut.

Il y a simplement le voyage comme ligne directrice. C’est un homme sur la route et on ne connaît pas sa destination. Le contexte reste mystérieux. On ne sait pas ce qui l’a amené à partir.

Si on ne sait pas ce qui a amené le protagoniste de Kill Me Or Negociate à partir, on connaît la raison pour laquelle Abdullah Miniawy a dû quitter l’Égypte pour venir s'exiler en France : le régime dictatorial de Al-Sissi, qui pèse fort dans l'équation.

Une relecture subversive

Par ironie du destin, Emmanuel Macron a reçu le 7 décembre 2020 à l'Elysée le dictateur égyptien Abdel Fattah al-Sissi, lui confiant la grand-croix de la Légion d’Honneur. Le lendemain l’édition vinyle de Kill Me Or Negotiate arrivait chez les disquaires à temps pour nous offrir une relecture alternative de ce que devrait être une collaboration franco-égyptienne. Si du coté des deux hommes politiques, l'accord est mis sur l’instrumentalisation du terrorisme pour justifier l’emploi de la force et de la répression sur leurs peuples, les deux artistes s'engagent quant à eux pour la liberté d'expression et pour le climat.

Cette coïncidence nous invite plus que jamais à regarder cet EP sous le prisme de son contexte socio-politique. C'est un album qui arrive à la fin de 2020, un année marquée par la privation de libertés liée au covid-19, ainsi que par l’éveil de la société civile globalisée vis-à-vis du caractère institutionnel de la discrimination raciale perpétrée par les Etats (George Floyd, Michel Zecler), par l'assassinat de Samuel Paty, ou par les images de drapeaux français qui brûlent a l'étranger.

Pochette de l'album Kill Me Or Negociate, © Clément Bertrand

Dans ce contexte, Kill Me Or Negociate, avec son titre et l'art-work de sa pochette, nous apparaît comme un disque fondamentalement moderne. Chanté intégralement en arabe, c'est la synthèse d'un paradoxe des croyances. Le chant en arabe redevient subversif face à l'islamophobie croissante de la société française, nourrie par le climat de terreur médiatique. Il nous invite à éviter les raccourcis présents dans notre société qui n'a pas terminé de régler ses problèmes post-coloniaux.

Enfant lucide, Abdullah Miniawy a écrit son premier texte quand il avait 8 ans : huit lignes contre le terrorisme, écrites en arabe classique. Aujourd'hui, la beauté de sa voix et de ses mots, inscrits dans une tradition musulmane soufie, et mélangés aux codes esthétiques de la musique contemporaine occidentale, appellent à questionner la signification pop de l'expression "Allah akbar".

Publié le
Un article réalisé par : Antonio Sergio Oliveira Das Neves
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